jeudi 21 avril 2011

LE CRÉPUSCULE DU SOIR

Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve.

Ô soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd'hui
Nous avons travaillé ! - c'est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s'alourdit,
Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.
Cependant des démons malsains dans l'atmosphère
S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire,
Et cognent en volant les volets et l'auvent.
À travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s'allume dans les rues ;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main ;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.
On entend çà et là les cuisines siffler,
Les théâtres glapir, les orchestres ronfler ;
Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices,
S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,
Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent !
La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - plus d'un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n'ont jamais vécu !

(1852)

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Librairie Générale Française, 1999, p.147-148


Paul Delvaux
Mujeres de vida galante (1962)
Óleo sobre lienzo - 140 x 122 cm


CREPÚSCULO VESPERTINO

He aquí la noche encantadora, amiga del criminal;
Llega como un cómplice, a paso de lobo; el cielo
Se cierra lentamente cual una gran alcoba,
Y el hombre impaciente se cambia en bestia salvaje.

¡Oh noche!, amable noche, deseada por aquel
Cuyos brazos, sin mentir, pueden decir: ¡Hoy
Hemos trabajado! — Es la noche la que alivia
Los espíritus que devora un dolor salvaje,
El sabio obstinado cuya frente se abruma,
Y el obrero encorvado que recobra su lecho.
Mientras tanto demonios malignos en la atmósfera
Se despiertan pesadamente, cual hombres de negocios,
Y golpean al volar los postigos y el altillo.
A través de las luces que atormenta el viento
La Prostitución se enciende en las calles;
Como un hormiguero ella abre sus salidas;
Por todas partes traza un oculto camino,
Cual el enemigo que intenta un asalto;
Ella se agita en el seno de la ciudad de fango
Como un gusano que roba al Hombre lo que ha comido.
Se escuchan aquí y allí las cocinas silbar,
Los teatros chillar, las orquestas roncar;
Las mesas redondas, en las que el juego hace las delicias,
Llénanse de rameras y de estafadores, sus cómplices,
Y los ladrones, que no tienen tregua ni merced,
Pronto han de comenzar su trabajo, ellos también,
Y forzar suavemente las puertas y las cajas
Para vivir unos días y vestir a sus amantes.

¡Recógete, alma mía, en este grave instante,
Y cierra tu oído a este rugido.
Esta es la hora en que los dolores de los enfermos se agudizan!
La Noche sombría les agarra la garganta; concluyen
Su destino y van hacia la fosa común;
El hospital se llena de sus suspiros. — Más de uno
No llegará jamás en busca de la sopa perfumada,
Al rincón del hogar, de noche, junto a un alma amada.

Todavía la mayoría de ellos, jamás han conocido
La Dulzura del hogar, ¡Jamás han vivido!

(1852)

Charles Baudelaire, Las Flores del Mal

lundi 11 avril 2011

Je ne te sais pas


Tim & Dakota, 2004

"Il ne serait possible “d’aimer” ce que l’on connaîtrait complètement. 
L’amour s’adresse à ce qui est caché dans son objet. L’amoureux pressent le nouveau : il réfléchit du nouveau sur toute chose. Les sensations propres de l’amour sont en dehors des lois de l’accoutumance. Elles ne peuvent jamais passer à l’inaperçu. –Ce qui est « aimé » est, par définition, en quelque manière inconnu. Je t’aime, donc, je ne te sais pas. –Donc je te bâtis – je te fais ; et tu te défais. Je fais ma demeure, ma toile, mon nid, un tissu d’images pour y vivre, pour y cacher ce que je crois avoir trouvé, pour me cacher de moi." 

Paul Valéry, Cahiers II, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1974, p. 400 [Eros]


Coley (Running Rainbow), 2007

["No sería posible "amar" aquello que se conoce completamente.
El amor se dirige a lo oculto de su objeto. El enamorado presiente lo nuevo: reflexiona nuevamente acerca de todo. Las sensaciones propias del amor están fuera de las leyes de la costumbre. No pueden jamás pasar inadvertidas. - Lo que es "amado" es, por definición, de alguna manera desconocido. Te amo, por lo tanto, no te sé. -Por lo tanto te construyo- te hago; y te deshaces. Hago mi morada, mi tela, mi nido, un tejido de imágenes para vivir allí, para esconder allí lo que creo haber encontrado, para esconderme de mí mismo."]


Hanna (Blonde Meadow), 2008 / 2009
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...