samedi 10 décembre 2011

Deux amis

"Chaque dimanche, avant la guerre, Morissot partait dès l'aurore, une canne en bambou d'une main, une boîte en fer-blanc sur le dos. Il prenait le chemin de fer d'Argenteuil, descendait à Colombes, puis gagnait à pied l'île Marante. A peine arrivé en ce lieu de ses rêves, il se mettait à pêcher; il pêchait jusqu'à la nuit.

Chaque dimanche, il rencontrait là un petit homme replet et jovial, M. Sauvage, mercier, rue Notre-Dame-de-Lorette, autre pêcheur fanatique. Ils passaient souvent une demi-journée côte à côte, la ligne à la main et les pieds ballants au-dessus du courant; et ils s'étaient pris d'amitié l'un pour l'autre.

En certains jours, ils ne parlaient pas. Quelquefois ils causaient; mais ils s'entendaient admirablement sans rien dire, ayant des goûts semblables et des sensations identiques.

Au printemps, le matin, vers dix heures, quand le soleil rajeuni faisait flotter sur le fleuve tranquille cette petite buée qui coule avec l'eau, et versait dans le dos des deux enragés pêcheurs une bonne chaleur de saison nouvelle, Morissot parfois disait à son voisin: "Hein! quelle douceur!" et M. Sauvage répondait: "Je ne connais rien de meilleur." Et cela leur suffisait pour se comprendre et s'estimer.

A l'automne, vers la fin du jour, quand le ciel, ensanglanté par le soleil couchant, jetait dans l'eau des figures de nuages écarlates, empourprait le fleuve entier, enflammait l'horizon, faisait rouges comme du feu les deux amis, et dorait les arbres roussis déjà, frémissants d'un frisson d'hiver, M. Sauvage regardait en souriant Morissot et prononçait: "Quel spectacle!" Et Morissot émerveillé répondait, sans quitter des yeux son flotteur: "Cela vaut mieux que le boulevard, hein?""

Guy de MAUPASSANT, Deux amis



Claude Monet (1840-1926) 
Huile sur toile - 60 cm x 72.8 cm. 

["Todos los domingos, antes de la guerra, Morissot salía con el alba, con una caña de bambú en la mano y una caja de hojalata a la espalda. Tomaba el ferrocarril de Argenteuil, bajaba en Colombes, y después llegaba a pie a la isla Marante. En cuanto llegaba a aquel lugar de sus sueños, se ponía a pescar, y pescaba hasta la noche.

Todos los domingos encontraba allí a un hombrecillo regordete y jovial, el señor Sauvage, un mercero de la calle Notre Dame de Lorette, otro pescador fanático. A menudo pasaban medio día uno junto al otro, con la caña en la mano y los pies colgando sobre la corriente, y se habían hecho amigos.

Ciertos días ni siquiera hablaban. A veces charlaban; pero se entendían admirablemente sin decir nada, al tener gustos similares y sensaciones idénticas.

En primavera, por la mañana, hacia las diez, cuando el sol rejuvenecido hacía flotar sobre el tranquilo río ese pequeño vaho que corre con el agua, y derramaba sobre las espaldas de los dos empedernidos pescadores el grato calor de la nueva estación, Morissot decía a veces a su vecino: «¡Ah! ¡qué agradable!» y el señor Sauvage respondía: «No conozco nada mejor.» Y eso les bastaba para comprenderse y estimarse.

En otoño, al caer el día, cuando el cielo ensangrentado por el sol poniente lanzaba al agua figuras de nubes escarlatas, empurpuraba el entero río, inflamaba el horizonte, ponía rojos como el fuego a los dos amigos, y doraba los árboles ya enrojecidos, estremecidos por un soplo de invierno, el señor Sauvage miraba sonriente a Morissot y pronunciaba: «¡Qué espectáculo!» Y Morissot respondía maravillado, sin apartar los ojos de su flotador: «Esto vale más que el bulevar, ¿eh?»"]





Guy de Maupassant par Nadar 

jeudi 1 décembre 2011

Le roman

"Le roman connaît l'inconscient avant Freud, la lutte de classes avant Marx, il pratique la phénoménologie (la recherche de l'essence des situations humaines) avant les phénoménologues. Quelles superbes "descriptions phénoménologiques" chez Proust qui n'a connu aucun phénoménologue!" [p. 46]

"...la seul raison d'être d'un roman est de dire ce que seul le roman peut dire." [p. 50]

"Le roman n'examine pas la réalité mais l'existence. Et l'existence n'est pas ce qui s'est passé, l'existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable." [p. 57]

KUNDERA, Milan, L'art du roman, Paris, Gallimard, 1986



Red, Black and White (1977)
Acrylic and collage on canvas, 1220 X 812 mm

["La novela conoce el inconsciente antes que Freud, la lucha de clases antes que Marx, practica la fenomenología (la búsqueda de la esencia de las situaciones humanas) antes que los fenomenólogos. ¡Qué bellas "descripciones fenomenológicas" en Proust, que no conoció ningún fenomenólogo!]

["...la única razón de ser de una novela es decir aquello que sólo la novela puede decir."]

["La novela no examina la realidad sino la existencia. Y la existencia no es lo que sucedió, la existencia es el campo de las posibilidades humanas, todo lo que el hombre puede devenir, todo aquello de lo que es capaz."]


Milan Kundera (Paris, 1975)

mardi 8 novembre 2011

Mémoire / Passé

"Qu'est-ce d'ailleurs encore que la mémoire (ou plus simplement: le passé) sinon un vaste système de rencontres?"

Jean-Pierre Richard, Proust et le monde sensible, Paris, Seuil, 1974, p. 288


Trellis (1962)
Huile sur toile - 138,4 x 106,7 cm

["¿Además, qué es de hecho la memoria (o más simplemente: el pasado) sino un vasto sistema de encuentros?"]

mercredi 19 octobre 2011

Verlaine et Rimbaud

"Verlaine et Rimbaud sont de grands promeneurs, et tandis qu'ils arpentent les boulevards, Paul écoute l'adolescent lui exposer ses idées révolutionnaires sur l'art, sur la nécessité de détruire le monde ancien pour créer un univers neuf qui deviendrait le domaine de la seule poésie. Verlaine, au propre comme au figuré, a du mal à suivre. Longtemps après, il se souviendra avec une admiration stupéfaite des jambes puissantes d'Arthur, de ses jambes de marcheur-né. Soudain, Paul se sent rappelé vers son véritable destin, et son enthousiasme croît à mesure qu'il plonge ses regards dans les yeux bleu métallique, à mesure qu'il prête l'oreille à cet étrange grasseyement venu du nord qui, au fil des semaines, s'adoucit pour se transformer en intonations parisiennes. Verlaine présente Rimbaud à ses amis dans les cafés où ils se réunissent régulièrement. Le photographe Étienne Carjat l'immortalise: c'est le cliché le plus célèbre du jeune poète, qui donne à voir ses cheveux en bataille, ses yeux de husky et sa bouche incertaine -ou peut-être cruelle." 

Edmund White, Rimbaud. La double vie d'un rebelle, Paris, Payot, 2008, p. 83-84 [Traduit de l'anglais par Danièle Momont]


Arthur Rimbaud par Étienne Carjat (octobre 1871)

["Verlaine y Rimbaud son grandes caminantes, y mientras recorren los bulevares, Paul escucha al adolescente exponer sus ideas revolucionarias sobre el arte, sobre la necesidad de destruir el mundo antiguo para crear un  universo nuevo que resultará el dominio exclusivo de la poesía. Verlaine, tanto en sentido propio como  figurado, lo sigue con dificultad. Mucho más tarde recordará con una admiración estupefacta las piernas potentes de Arthur, sus piernas de caminante nato. De pronto Paul se siente llamado hacia su destino verdadero, y su entusiasmo crece a medida que hunde su mirada en los ojos azul metálico, a medida que presta su oído a esa extraña pronunciación gutural de la r, llegada del norte, y que al cabo de unas semanas se suaviza para transformarse en entonaciones parisinas. Verlaine presenta Rimbaud a sus amigos en los cafés  en los que se reúnen regularmente. El fotógrafo Étienne Carjat lo inmortaliza: es el cliché más célebre del joven poeta, que deja ver sus cabellos despeinados, sus ojos de husky y su boca incierta o quizás cruel." ]

jeudi 15 septembre 2011

Huit

Huit sont les témoins de l’amour: le cœur qui pince, les membres qui se refusent, le corps exténué, la langue nouée, la maigreur, les larmes, le secret, l’ardeur sexuelle solitaire. Tels sont les huit témoins de l’amour-passion. 
*
Huit sont les conséquences de l’amour. L’amour hâte le cœur, éteint les maux, écarte la mort, défait les liens qui ne le concernent pas, augmente le jour, raccourcit la nuit, rend l’âme audacieuse, illumine le soleil. Tels sont les huit effets de l’amour-passion. 

Pascal Quignard, Vie secrète, Paris, Gallimard-Folio, 1998, p. 205



Marc Chagall
Huile sur toile - 69,7 x 49,5 cm

[Ocho son los testigos del amor : el corazón que punza, los miembros que se niegan, el cuerpo extenuado, la lengua anudada, la delgadez, las lágrimas, el secreto, el ardor sexual solitario. Tales son los ocho testigos del amor-pasión. 
*
Ocho son las consecuencias del amor. El amor apresura el corazón, apaga los males, aleja la muerte, deshace los lazos que no le interesan, aumenta el día, acorta la noche, vuelve el alma audaz, ilumina el sol. Tales son los ocho efectos del amor-pasión.]

jeudi 1 septembre 2011

Sensation

"Ce que l'intelligence nous rend sous le nom de passé n'est pas lui. En réalité, comme il arrive pour les âmes des trépassés dans certaines légendes populaires, chaque heure de notre vie, aussitôt morte, s'incarne et se cache en quelque objet matériel. Elle y reste captive, à jamais captive, à moins que nous ne rencontrions l'objet. À travers lui nous la reconnaissons, nous l'appelons, et elle est délivrée. L'objet où elle se cache, ou la sensation, puisque tout objet par rapport à nous est sensation, nous pouvons très bien ne le rencontrer jamais."
Marcel Proust, Contre Sainte- Beuve, Paris, NRF, "Idées", 1965, p. 55


Pablo Ruiz Picasso (1881-1973)
Violon et feuille de musique, Automne 1912
Papiers et partition musicale collés sur carton, gouache, 78 x 65 cm

["Eso que la inteligencia nos brinda bajo el nombre de pasado no lo es tal. En realidad, como sucede con las almas de los muertos en algunas leyendas populares, cada hora de nuestra vida, inmediatamente después de muerta, se encarna y se esconde en algún objeto material. Permanece allí cautiva, para siempre cautiva, a menos que encontremos el objeto. A través de él la reconocemos, la llamamos y ella es liberada. El objeto en el que se esconde, o la sensación, ya que todo objeto con respecto a nosotros es sensación, podemos muy bien no encontrarlo nunca."]

jeudi 7 juillet 2011

Gris-brun

"C'était un caractère très étrange: extraordinairement passive. Presque contemplative. Mais cette apparence d'inertie contenait une activité propre. Elle était profondément calme, calme sans aucune sérénité, calme de façon inlassable, opiniâtre, à tout instant concentrée. Elle n'obéissait à personne mais commandait encore moins à qui que ce fût. Elle parlait peu. Elle menait une vie presque invisible, entourée de ses trois pianos, abritée par ses trois pianos, inamicale, presque recluse, laborieuse, parallèle. Quand elle leva les yeux sur l'eau qui coulait, devant elle, tout ce qui l'entourait était devenu gris. Seul le quai d'en face était blanchâtre. Les arbres et la péniche étaient gris-brun dans la lumière terne." 

Pascal Quignard, Villa Amalia, Paris, Gallimard, 2006, p. 34



Agnes Martin (1912-2004) 
Untitled - Signed and dated 'a. martin 1963' (on the backing board) 
Ink on paper - 12 x 9½ in. (30.5 x 24.1 cm.) 

[“Era una actitud muy extraña: extraordinariamente pasiva. Casi contemplativa. Pero esa apariencia de inercia contenía una actividad propia. Estaba profundamente tranquila, tranquila sin ninguna serenidad, tranquila de manera incansable, persistente, constantemente concentrada. No obedecía a nadie pero dirigía aún mucho menos a quien fuese. Hablaba poco. Llevaba una vida casi invisible, rodeada de sus tres pianos, protegida por sus tres pianos, hostil, casi recluida, laboriosa, paralela. Cuando levantó su mirada hacia el agua que corría, ante ella, todo lo que la rodeaba se volvió gris. Únicamente el muelle de enfrente era blancuzco. Los árboles y la barca eran gris-pardo en la luz débil.”]

jeudi 9 juin 2011

Le jardin

Des milliers et des milliers d'années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d'éternité
Où tu m'as embrassé
Où je t'ai embrassée
Un matin dans la lumière de l'hiver
Au parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.



Prévert, Jacques, "Le jardin" in Paroles, Paris, Gallimard, 1949, p. 204


Robert Doisneau – Les amoureux aux poireaux – Paris -1950

Millares y millares de años
No sabrían alcanzar
Para decir
Ese pequeño segundo de eternidad
En el que me besaste
En el que te besé
Una mañana a la luz del invierno
En el parque Montsouris en París
En París
Sobre la tierra
La tierra que es un astro.

jeudi 2 juin 2011

La nuit

"Deux heures du matin. Les rats rongent dans les poubelles les restes du jour mort: la ville appartient aux fantômes, aux assassins, aux somnambules. Où es-tu? Dans quel lit? Dans quel rêve? Si je te rencontrais, tu passerais sans me voir car nous ne sommes pas vus par nos songes. Je n'ai pas faim: je ne parviens pas ce soir à digérer ma vie. Je suis fatiguée. J'ai marché toute la nuit pour semer ton souvenir. Je n'ai pas sommeil: je n'ai même pas appétit de la mort. Assise sur un banc, abrutie malgré moi par l'approche du matin, je cesse de me rappeler que j'essaye de t'oublier. Je ferme les yeux..."
Marguerite Yourcenar, Feux, Paris, Gallimard, 1974, p. 169


Edvard Munch
Huile sur toile - 90cm x 119,5 cm

["Las dos de la madrugada. Las ratas roen en los cubos de basura los restos de un día muerto: la ciudad pertenece a los fantasmas, a los asesinos, a los sonámbulos. ¿Dónde estás tú, en qué cama, en qué sueño? Si tropezara contigo, pasarías sin verme, pues no somos percibidos por nuestros sueños. No tengo hambre: no consigo digerir mi vida esta noche. Estoy cansada: anduve toda la noche para escapar de tu recuerdo. No tengo sueño: ni siquiera siento apetito de la muerte. Sentada en un banco, embrutecida a pesar mío por la llegada de la mañana, dejo de recordar que trato de olvidarte. Cierro los ojos..."]
Marguerite Yourcenar, Fuegos in Cuentos completos, Alfaguara, 2010, p. 157 - Traducción de Emma Calatayud. 

mardi 3 mai 2011

La conversation infinie

Un calzado
nuevo
te hace
mirarte
una y otra
vez en el espejo

los primeros pasos
condicionan 
tu andar furtivo:
te cuidás
de ciertas pisadas
de ciertos ademanes
del metatarso
tieso

al poco
tiempo 
todo
vuelve
a la normalidad

así
la mujer
que te espera
es una incógnita

pero 
el cuerpo
vuelve
a circular
en el espejo 

pero esta vez
tu rostro
tiene 
palabras
que nunca
viste

Andrés Boiero, "La conversación infinita" in Texas, Buenos Aires, Milena Caserola, 2011, p. 13-14





Photo-souvenir Daniel Buren: SAAL 1 GETEILT DURCH 3 = SAAL 1 MULTIPLIZIERT MIT 2 
Work in situ, Staatliche Kunsthalle Baden-Baden, 2011
© DB-ADAGP Paris + Wolfgang Günzel



Des chaussures 
neuves
te font
te regarder
encore et encore
dans la glace

les premiers pas
conditionnent 
ta démarche furtive:
tu fais attention 
à certains pas
à certains gestes
du métatarse 
tendu

peu de temps
après
tout 
revient 
à la normalité

ainsi
la femme 
qui t'attend
est un mystère

mais
le corps
revient 
circuler
dans la glace

mais cette fois
ton visage
des mots
que tu n'as jamais
vus

jeudi 21 avril 2011

LE CRÉPUSCULE DU SOIR

Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve.

Ô soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd'hui
Nous avons travaillé ! - c'est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s'alourdit,
Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.
Cependant des démons malsains dans l'atmosphère
S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire,
Et cognent en volant les volets et l'auvent.
À travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s'allume dans les rues ;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main ;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.
On entend çà et là les cuisines siffler,
Les théâtres glapir, les orchestres ronfler ;
Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices,
S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,
Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent !
La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - plus d'un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n'ont jamais vécu !

(1852)

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Librairie Générale Française, 1999, p.147-148


Paul Delvaux
Mujeres de vida galante (1962)
Óleo sobre lienzo - 140 x 122 cm


CREPÚSCULO VESPERTINO

He aquí la noche encantadora, amiga del criminal;
Llega como un cómplice, a paso de lobo; el cielo
Se cierra lentamente cual una gran alcoba,
Y el hombre impaciente se cambia en bestia salvaje.

¡Oh noche!, amable noche, deseada por aquel
Cuyos brazos, sin mentir, pueden decir: ¡Hoy
Hemos trabajado! — Es la noche la que alivia
Los espíritus que devora un dolor salvaje,
El sabio obstinado cuya frente se abruma,
Y el obrero encorvado que recobra su lecho.
Mientras tanto demonios malignos en la atmósfera
Se despiertan pesadamente, cual hombres de negocios,
Y golpean al volar los postigos y el altillo.
A través de las luces que atormenta el viento
La Prostitución se enciende en las calles;
Como un hormiguero ella abre sus salidas;
Por todas partes traza un oculto camino,
Cual el enemigo que intenta un asalto;
Ella se agita en el seno de la ciudad de fango
Como un gusano que roba al Hombre lo que ha comido.
Se escuchan aquí y allí las cocinas silbar,
Los teatros chillar, las orquestas roncar;
Las mesas redondas, en las que el juego hace las delicias,
Llénanse de rameras y de estafadores, sus cómplices,
Y los ladrones, que no tienen tregua ni merced,
Pronto han de comenzar su trabajo, ellos también,
Y forzar suavemente las puertas y las cajas
Para vivir unos días y vestir a sus amantes.

¡Recógete, alma mía, en este grave instante,
Y cierra tu oído a este rugido.
Esta es la hora en que los dolores de los enfermos se agudizan!
La Noche sombría les agarra la garganta; concluyen
Su destino y van hacia la fosa común;
El hospital se llena de sus suspiros. — Más de uno
No llegará jamás en busca de la sopa perfumada,
Al rincón del hogar, de noche, junto a un alma amada.

Todavía la mayoría de ellos, jamás han conocido
La Dulzura del hogar, ¡Jamás han vivido!

(1852)

Charles Baudelaire, Las Flores del Mal

lundi 11 avril 2011

Je ne te sais pas


Tim & Dakota, 2004

"Il ne serait possible “d’aimer” ce que l’on connaîtrait complètement. 
L’amour s’adresse à ce qui est caché dans son objet. L’amoureux pressent le nouveau : il réfléchit du nouveau sur toute chose. Les sensations propres de l’amour sont en dehors des lois de l’accoutumance. Elles ne peuvent jamais passer à l’inaperçu. –Ce qui est « aimé » est, par définition, en quelque manière inconnu. Je t’aime, donc, je ne te sais pas. –Donc je te bâtis – je te fais ; et tu te défais. Je fais ma demeure, ma toile, mon nid, un tissu d’images pour y vivre, pour y cacher ce que je crois avoir trouvé, pour me cacher de moi." 

Paul Valéry, Cahiers II, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1974, p. 400 [Eros]


Coley (Running Rainbow), 2007

["No sería posible "amar" aquello que se conoce completamente.
El amor se dirige a lo oculto de su objeto. El enamorado presiente lo nuevo: reflexiona nuevamente acerca de todo. Las sensaciones propias del amor están fuera de las leyes de la costumbre. No pueden jamás pasar inadvertidas. - Lo que es "amado" es, por definición, de alguna manera desconocido. Te amo, por lo tanto, no te sé. -Por lo tanto te construyo- te hago; y te deshaces. Hago mi morada, mi tela, mi nido, un tejido de imágenes para vivir allí, para esconder allí lo que creo haber encontrado, para esconderme de mí mismo."]


Hanna (Blonde Meadow), 2008 / 2009

jeudi 24 mars 2011

La critique et la lecture

"... tout acte critique, quel qu'il soit, attente au texte critiqué, le découpe, le limite, le déchire, l'éclate, le transforme en un corps morcelé. À cela, point d'autre réparation que la lecture, la lecture infinie."
Jean-Pierre RICHARD, Proust et le monde sensible, Paris, Seuil, 1974, p. 10


John Minihan
Bibliothèque de Samuel Beckett
Boulevard St. Jacques, Paris


["... todo acto crítico, cualquiera que sea, atenta contra el texto criticado, lo recorta, lo limita, lo desgarra, lo estalla, lo transforma en un cuerpo fragmentado. Ante eso, la única reparación posible es la lectura, la lectura infinita.]

dimanche 20 mars 2011

Le miroir I

"Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s’ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d’ombre qui me donne à moi-même ma propre visibilité, qui me permet de me regarder là où je suis absent – utopie du miroir. Mais c’est également une hétérotopie, dans la mesure où le miroir existe réellement, et où il a, sur la place que j’occupe, une sorte d’effet en retour ; c’est à partir du miroir que je me découvre absent à la place où je suis parce que je me vois là-bas. À partir de ce regard qui en quelque sorte se porte sur moi, du fond de cet espace virtuel qui est de l’autre côté de la glace, je reviens vers moi et je recommence à porter mes yeux vers moi-même et à me reconstituer là où je suis."

FOUCAULT, Michel, Des espaces autres. Hétérotopies, (1967), p. 3



Photo: Rick Day 

[“En el espejo, me veo donde no estoy, en un espacio irreal que se abre virtualmente detrás de la superficie, estoy allá, allá donde no estoy, una suerte de sombra que me brinda a mí mismo mi propia visibilidad, que me permite mirarme allá donde estoy ausente - utopía del espejo. Pero es igualmente una heterotopía, en la medida en que el espejo existe realmente y tiene, sobre el lugar que ocupo, una especie de efecto de retorno; es a partir del espejo que me descubro ausente en el lugar en que estoy, puesto que me veo allá. A partir de esta mirada que de alguna manera recae sobre mí, del fondo de este espacio virtual que está del otro lado del cristal, vuelvo sobre mí y empiezo a poner mis ojos sobre mí mismo y a reconstituirme allí donde estoy.”]

jeudi 3 mars 2011

Un défilé

"La mode est un processus d'élimination permanente: on est dans le coup ou has been, actuel ou passé, neuf ou ringard, juste ou faux. Faire partie des élus, des initiés, c'est être en prise directe avec l'adrénaline qui fait carburer cet organisme voué à l'apparence: un état de grâce immédiatement reconnaissable car on se retrouve assis au meilleur rang du défilé, on est invité aux soirées Saint Laurent, on fait la couverture de toutes les revues, on se trouve déifié. Mais l'exaltation d'avoir été distingué du commun des mortels s'accompagne toujours de la peur de la chute, du retour brutal à l'anonymat. Le besoin compulsif de changement qui est au coeur de la mode signifie qu'un jour viendra où l'on cessera soudain d'être in pour devenir out, d'être formidable pour se voir qualifié d'infréquentable. C'est la coexistence permanente de ces deux états d'esprit, euphorie et crainte, qui crée l'extase terrible de la mode. Il suffit d'avoir assisté à un défilé dans sa vie pour ressentir cet effroi." 
Alicia Drake, Beautiful People - Saint Laurent, Lagerfeld: splendeurs et misères de la mode, Paris, Denoël, 2008, p. 208






David Hockney
Jacques de Bascher de Beaumarchais (1973)
Catalogue de l'exposition Galerie Claude Bernard, Paris, 1975



["La moda es un proceso de eliminación permanente: de golpe uno es o has been, o actual o pasado, nuevo o anticuado, justo o falso. Formar parte de los elegidos, de los iniciados, es estar en conexión directa con la adrenalina que hace carburar ese organismo consagrado a la apariencia: un estado de gracia reconocible inmediatamente, pues uno se encuentra sentado en la primera fila del desfile, uno es invitado a las fiestas de Saint Laurent, uno aparece en la tapa de todas las revistas, uno se descubre deificado. Pero la exaltación de haber sido distinguido del común de los mortales está siempre acompañada del miedo a la caída, al retorno brutal al anonimato. La necesidad compulsiva de cambio, instalada en el corazón de la moda,  significa que llegará un día en que uno dejará repentinamente de ser in para volverse out, de ser formidable para verse calificado de infrecuentable. Es la coexistencia peremanente de esos dos estados de ánimo, euforia y miedo, que crea el éxtasis terrible de la moda. Basta con haber asistido a un desfile en su vida para sentir ese pavor."]

samedi 19 février 2011

Un amant

"D’abord, ce fut comme un étourdissement ; elle voyait les arbres, les chemins, les fossés, Rodolphe, et elle sentait encore l’étreinte de ses bras, tandis que le feuillage frémissait et que les joncs sifflaient. 
Mais, en s’apercevant dans la glace, elle s’étonna de son visage. Jamais elle n’avait eu les yeux si grands, si noirs, ni d’une telle profondeur. Quelque chose de subtil épandu sur sa personne la transfigurait. 
Elle se répétait : « J’ai un amant ! un amant ! », se délectant à cette idée comme à celle d’une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire ; une immensité bleuâtre l’entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa pensée, et l’existence ordinaire n’apparaissait qu’au loin, tout en bas, dans l’ombre, entre les intervalles de ces hauteurs. 
Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix des sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et réalisait la longue rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans ce type d’amoureuse qu’elle avait tant envié. D’ailleurs, Emma éprouvait une satisfaction de vengeance. N’avait-elle pas assez souffert ! Mais elle triomphait maintenant, et l’amour, si longtemps contenu, jaillissait tout entier avec des bouillonnements joyeux. Elle le savourait sans remords, sans inquiétude, sans trouble."

FLAUBERT, Gustave, Madame Bovary, Paris, Librairie Géneral Française, 1972, p.191-192
and-coloured. 16x11,5cm.



Gravure (1850) 
Peint à la main -16 x 11,5cm.

[“Al principio sintió como un mareo ; veía los árboles, los caminos, las cunetas, a Rodolphe, y se sentía todavía estrechada entre sus brazos, mientras que se estremecía el follaje y silbaban los juncos. 
Pero al verse en el espejo se asustó se asustó de su cara. Nunca había tenido los ojos tan grandes, tan negros ni tan profundos. Algo sutil esparcido sobre su persona la transfiguraba. 
Se repetía : « ¡Tengo un amante !, ¡un amante ! », deleitándose en esta idea, como si sintiese renacer en ella otra pubertad. Iba, pues a poseer por fin esos goces del amor, esa fiebre de felicidad que tanto había ansiado. 
Penetraba en algo maravilloso donde todo sería pasión, éxtasis, delirio ; una azul inmensidad la envolvía, las cumbres del sentimiento resplandecían bajo su imaginación, y la existencia ordinaria no aparecía sino a lo lejos, muy abajo, en la sombra, entre los intervalos de aquellas alturas. 
Entonces recordó a las heroínas de los libros que había leído y la legión lírica de esas mujeres adúlteras empezó a cantar en su memoria con voces de hermanas que la fascinaban. Ella venía a ser como una parte verdadera de aquellas imaginaciones y realizaba el largo sueño de su juventud, contemplándose en ese tipo de enamorada que tanto había deseado. Además Emma experimentaba una satisfacción de venganza. ¡Bastante había sufrido ! Pero ahora triunfaba, y el amor, tanto tiempo contenido, brotaba todo entero a gozosos borbotones. Lo saboreaba sin remordimiento, sin preocupación, sin turbación alguna]

Madrid, Cátedra, 2001, p.246 – Traducción de Germán Palacios

jeudi 10 février 2011

Une vérité

"Beaucoup d'hommes naissent aveugles et ils ne s'en aperçoivent que le jour où une bonne vérité leur crève les yeux."
Jean Cocteau, La machine infernale, Paris, Grasset, 1934, p. 91



Jean Auguste Dominique Ingres
Œdipe explique l'énigme du Sphinx (1808)
Huile sur toile - 189 x 133 cm

["Muchos hombres nacen ciegos y no se dan cuenta de ello hasta el día en que una buena verdad les revienta los ojos".]

jeudi 13 janvier 2011

Ashes

"-Je comprends que la cendre n'est rien qui soit au monde, rien qui reste comme un étant. Elle est l'être, plutôt, qu'il y a -c'est un nom de l'être qu'il y a là mais qui, se donnant (es gibt ashes), n'est rien, reste au-delà de tout ce qui est (konis epekeina tes ousias), reste imprononçable pour rendre possible le dire alors qu'il n'est rien."

Jacques Derrida, La difunta ceniza - Feu la cendre, Buenos Aires, La Cebra, 2009, p. 59




John McLaughlin
#6 (1959)
Huile sur toile - 111,44 x 153,04 cm

["-Entiendo que la ceniza no es nada que esté en el mundo, nada que reste como un ente. Es el ser, más bien, que hay -es un nombre del ser que hay ahí pero que, al darse (es gibt ashes), no es nada, resto más allá de todo lo que es (konis epekeina te ousias), resto impronunciable para hacer posible el decir a pesar de que no es nada."]

Traducción de Daniel Alvarado y Cristina de Peretti

samedi 1 janvier 2011

Bonne année 2011

"Il semble qu'il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu'on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté."

Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être, Paris, Gallimard, 1987, p. 299



David Hockney
Acrylic on canvas - 214 x 304.8 cm

["Parece que existe en el cerebro una zona absolutamente específica que podría llamarse la memoria poética y que registra lo que nos ha fascinado, lo que nos ha emocionado, lo que da a nuestra vida su belleza."]
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