"La mort d'Antinoüs n'est un problème et une catastrophe que pour moi seul. Il se peut que ce désastre ait été inséparable d'un trop-plein de joie, d'un surcroît d'expérience, dont je n'aurais pas consenti à me priver moi-même ni à priver mon compagnon de danger. Mes remords même sont devenus peu à peu une forme amère de possession, une manière de m'assurer que j'ai été jusqu'au but le triste maître de son destin. Mais je n'ignore pas qu'il faut compter avec les décisions de ce bel étranger que reste malgré tout chaque être qu'on aime. En prenant sur moi toute la faute, je réduis cette jeune figure aux proportions d'une statuette de cire que j'aurais pétrie, puis écrasée entre mes mains. Je n'ai pas le droit de déprécier le singulier chef-d'œuvre que fut son départ; je dois laisser à cet enfant le mérite de sa propre mort."
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, [Plon, 1958], Paris, Gallimard,1974 , p. 189
["Sólo para mí la muerte de Antínoo es un problema y una catástrofe. Puede que ese desastre haya sido inseparable de un exceso de júbilo, un colmo de experiencia, de los que no habría consentido en privarme ni privar a mi compañero de peligro. Aun mis remordimientos se han convertido poco a poco en una amarga forma de posesión, una manera de asegurarme de que fui hasta el fin el triste amo de su destino. Pero no ignoro que hay que tener en cuentra las decisiones de ese bello extranjero que sigue siendo, a pesar de todo, cada ser que amamos. Al hacer recaer toda la falta sobre mí, reduzco su joven figura a las proporciones de una estatuilla de cera que, luego de plasmada, hubiera aplastado entre mis dedos. No tengo derecho a disminuir la singular obra maestra que fue su partida; debo dejar a ese niño el mérito de su propia muerte."]