mardi 10 mars 2015

Jean Selz

Ecrivain, historien de l’art, Jean Selz (1904-1997) rencontra Walter Benjamin à Ibiza en 1932, lieu où ils se côtoyèrent fréquemment avant de se perdre de vue à Paris, en 1934, pour des motifs futiles. 

Entre temps, Jean Selz, qui ignorait l’allemand, élabora une « transposition française » de certains fragments d’Enfance berlinoise à partir d’une traduction orale et littérale de Benjamin.
De cette collaboration naquit une amitié dont Jean Selz a laissé plusieurs souvenirs écrits qui reviennent notamment sur des expériences faites par W. Benjamin avec l’opium.
Dans ses récits, J. Selz montre par ailleurs une grande acuité pour saisir la personnalité, le caractère et surtout la sensibilité de Walter Benjamin.

Photo: Jean Selz à Ibiza avec Walter Benjamin (1934)

mardi 5 novembre 2013

La surface

"Est-il possible qu’en dépit de toutes les inventions et de tous les progrès, qu’en dépit de la civilisation, de la religion, de la philosophie, on en soit resté à la surface de la vie? Est-il possible qu’on ait encore recouvert cette superficie, qui était du moins quelque chose, d’une étoffe incroyablement ennuyeuse, qui la fait ressembler à des meubles de salon pendant les vacances d’été?
Oui, c’est possible."

Rainer Maria Rilke, [Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge, 1910] Trad. fr. Les Carnets de Malte Laurids Brigge, Paris, Gallimard, 1991, p. 39


Photographie et tableau: Philippe Micheau Ruiz (2013) 


["¿Es posible que pese a todas las invenciones y a todos los progresos, que pese a la civilización, a la religión, a la filosofía, hayamos permanecido en la superficie de la vida? ¿Es posible que hayamos incluso recubierto esa superficie, que era al menos algo, con una tela increíblemente aburrida que le otorga el aspecto de los muebles de salón durante las vacaciones de verano? 
Sí, es posible."]


vendredi 30 août 2013

μελαγχολία = mélancolie

« J’arrive à l’âge où chaque jour je m’invente un nouveau regret »
Jacques Braunstein, Loin du centre


Marcello Mastroianni - Federico Fellini, 8 1/2 (1963)

"Estoy llegando a la edad en que cada día me invento un nuevo pesar." 

jeudi 29 août 2013

ἀναγνώρισις

Anagnorise:  Reconnaissance. Retournement qui conduit de l'ignorance à la connaissance. Révélation portant sur l'identité du personnage. 


Gravure réalisée à partir de Œdipe et le Sphinx de Ingres

Anagnórisis: Reconocimiento. Giro que conduce de la ignorancia hacia el conocimiento. Revelación sobre la identidad del personaje. 

jeudi 7 février 2013

La volonté

"Je n’avais pas l’apaisement de me croire irresponsable : je sentais bien que mes actes étaient volontaires, mais je ne les voulais qu’en les accomplissant. On eût dit que l’instinct, pour prendre possession de moi, attendait que la conscience s’en allât ou qu’elle fermât les yeux. J’obéissais tour à tour à deux volontés contraires, qui ne se heurtaient pas, puisqu’elles se succédaient. […] Je n’avais personne à qui demander un conseil. La première conséquence de penchants interdits est de nous murer en nous mêmes: il faut se taire, ou n’en parler qu’à des complices. J’ai beaucoup souffert, dans mes efforts pour me vaincre, de ne pouvoir attendre ni encouragement ni pitié, ni même ce peu d’estime que mérite toute bonne volonté." 

Marguerite Yourcenar, Alexis ou le Traité du Vain Combat, Paris, Gallimard, collection Folio, nº 1041, 1978, p. 59



Egon von Vietinghoff
Alexis (ca. 1925)



“No tenía la tranquilidad de creerme irresponsable: me daba cuenta de que mis actos eran voluntarios, pero yo sólo los quería cuando los estaba cometiendo. Se hubiera dicho que el instinto, para tomar posesión de mí, esperaba a que la conciencia se fuera o a que cerrase los ojos. Yo obedecía, alternándolas, a dos voluntades contrarias que no chocaban entre sí, puesto que se sucedían una a la otra. […] No tenía a nadie a quién pedir un consejo. La primera consecuencia de las inclinaciones prohibidas es la de encerrarnos dentro de nosotros mismos: hay que callar o bien no hablar más que con nuestros cómplices. He sufrido mucho, en mis esfuerzos por vencerme, por no poder encontrar ni estímulo ni piedad, ni siquiera ese poco de estima que merece toda buena voluntad.” (78-79)

Marguerite Yourcenar, Alexis o el tratado del inútil combate,  Madrid, Suma de letras, 2000, p. 78-79. Traducción de  Emma Calatayud.
 

jeudi 15 novembre 2012

L'amour


"L'amour n'est qu'illusion; il se fait, pour ainsi dire, un autre univers;  il s'entoure d'objets qui ne sont point, ou auxquels lui seul a donné l'être, et comme il rend tous ces sentiments en images, son langage est toujours figuré. Mais ces figures sont sans justesse et sans suite; son éloquence est dans son désordre; il prouve d'autant plus qu'il raisonne moins. L'enthousiasme es le dernier degré de la passion. Quand elle est à son comble, elle voit son objet parfait; elle en fait alors son idole; elle le place dans le ciel, et, comme l'enthousiasme de la dévotion emprunte le langage de l'amour, l'enthousiasme de l'amour emprunte aussi le langage de la dévotion. Il ne voit plus que le paradis, les anges, les vertus des saints, les délices du séjour céleste."

Jean-Jacques Rousseau, "Préface ou Entretien sur les romans" in Julie ou La Nouvelle Héloïse, Librairie Générale Française, 2002, p. 59



Pierre-Paul Proudhon 
L’innocence préférant l’amour à la richesse (1804) 
Huile sur toile - 243 x 194 cm 
["El amor no es más que ilusión. Construye, por así decirlo, otro universo. Se rodea de objetos que no son o a los cuales sólo él hace existentes y, como torna todos esos sentimientos en imágenes, su lenguaje es siempre figurado. Pero esas figuras carecen de fundamento y de coherencia; su elocuencia reside en su desorden. El amor prueba tanto más cuanto razona menos. El entusiasmo es el último grado de la pasión. Cuando ésta alcanza su máximo, ve su objeto perfecto. Hace de él su ídolo, lo ubica en el cielo, y, así como el entusiasmo de la devoción toma prestado el lenguaje del amor, el entusiasmo del amor también toma prestado el lenguaje de la devoción. El amor no ve más que el paraíso, los ángeles, las virtudes de los santos, las delicias de la estancia celestial."]

jeudi 8 novembre 2012

L'éphémère


"Si l'on devait vivre éternellement, tout deviendrait monotone. C'est l'idée de la mort qui nous talonne. C'est la hantise et le désir de l'homme de laisser une trace indélébile de son éphémère passage sur cette terre qui donnent naissance à l'art."
Brassaï



Brassaï

Chez Suzy (1932)

["Si debiéramos vivir eternamente, todo se volvería monótono. Es la idea de la muerte la que nos acosa. Son la obsesión y el deseo del hombre de dejar una marca indeleble de su efímero paso por esta tierra los que dan nacimiento al arte."]

vendredi 12 octobre 2012

La blessure

« Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. Il y a donc loin de cet art à ce qu’on nomme le misérabilisme. L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine. »

Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti, Paris, Gallimard, 2007


Alberto Giacometti
Jean Genet
Huile sur toile (1954–1955)

["La belleza no tiene otro origen que la herida, singular, diferente en cada uno, escondida o visible, que todo hombre guarda en sí, que preserva, y a donde se retira cuando quiere apartarse del mundo para estar momentáneamente en una soledad más profunda. Lejos está entonces el arte de Giacometti de lo que llamamos miserabilismo. Pareciera más bien que su arte se propone descubrir esa herida secreta de todo ser y hasta de toda cosa, a fin de que los ilumine."]

Traducción de Jaime Arrambide. "El artista que busca iluminar la herida de todo ser" in ADN cultura, La Nación, Buenos Aires, 12 de octubre de 2012


Alberto Giacometti

dimanche 7 octobre 2012

Les tournants

"Nous pensons à tort que les événements de notre vie sont franchis une fois pour toutes: il en est d'eux comme de ces paysages depuis longtemps dépassés, mais que chaque tournant de la route nous présente à nouveau, et sous un nouvel aspect. Ainsi, chaque mouvement de notre âme fait des malheurs anciens un malheur nouveau, totalement différent de celui que nous nous félicitons de n'avoir plus à souffrir, et, parce que chaque fois l'éclairage, les proportions, l'horizon même à changé, nous en souffrons chaque fois comme si c'était la première." 

Marguerite Yourcenar, La Nouvelle Eurydice in Œuvres romanesques, Paris, Gallimard - Pléiade, 1991, p. 1282 


Henri Rousseau
Vue de l'Île Saint-Louis prise du port Saint-Nicolas (1888)
Huile sur toile - 46 x 55 cm 

["Pensamos erróneamente que los hechos de nuestra vida son superados de una vez por todas: sucede con ellos lo mismo que con esos paisajes dejados atrás hace tiempo, pero que cada curva de la ruta vuelve a presentarnos bajo un nuevo aspecto. Del mismo modo, cada movimiento de nuestro espíritu hace de las desgracias pasadas una desgracia nueva, totalmente diferente de aquella que nos felicitamos de no tener que volver a sufrir, y, porque cada vez la iluminación, las proporciones, el horizonte mismo han cambiado, volvemos a sufrir cada vez como si fuera la primera."]

mercredi 26 septembre 2012

La surface

"Est-il possible qu’en dépit de toutes les inventions et de tous les progrès, qu’en dépit de la civilisation, de la religion, de la philosophie, on en soit resté à la surface de la vie ? Est-il possible qu’on ait encore recouvert cette superficie, qui était du moins quelque chose, d’une étoffe incroyablement ennuyeuse, qui la fait ressembler à des meubles de salon pendant les vacances d’été?

Oui, c’est possible."

RILKE, Rainer Maria, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, Paris, Gallimard, 1991, p. 39



Léopold Survage
Composition (1915)
Oil on canvas - 55.3 x 46.4 cm

["¿Es posible que pese a todas las invenciones y todos los progresos, que pese a la civilización, la religión, la filosofía, permanezcamos en la superficie de la vida? ¿Es posible que hayamos, incluso, recubierto esa superficie, que al menos era algo, con una tela increíblemente aburrida, que la hace parecerse a muebles de salón durante las vacaciones de verano?

Sí, es posible."]

jeudi 20 septembre 2012

L'angoisse

"Elle se relève. Elle découvre qu'elle a tout le corps couvert de sueur. Même son ventre se couvre de sueur. L'angoisse est une si ancienne compagne. Ce n'est peut-être pas la plus commode des compagnes qui se trouvent dans ce monde mais c'est une bonne conseilleuse. La gorge qui se serre est une fée, pénible, cruelle, mais qui lit admirablement dans les cartes que le temps distribue. Plus jamais elle ne combat frontalement l'angoisse. Elle en connaît trop les stratagèmes, et les vertiges."

Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses, Paris, Gallimard, 2011, p. 34 


William Bouguereau
Biblis (1884)
 48 cm x 79 cm 

["Ella se levanta. Ella descubre que tiene todo el cuerpo cubierto de sudor. Incluso su vientre se cubre de sudor. La angustia es una vieja compañera. Quizá no es la compañera más cómoda del mundo pero es una buena consejera. La garganta que se anuda es un hada, agobiante, cruel, pero que lee admirablemente las cartas que el tiempo distribuye. Nunca más ella hace frente a la angustia. Ella conoce demasiado sus estratagemas, y sus vértigos."]

mardi 28 août 2012

Madone

LVII
A une Madone
Ex-voto dans le goût espagnol

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal,
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;
Et dans ma jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied tailler une Lune d'argent,
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et féconde en rachats,
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges,
Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu ;
Et comme tout en moi te chérit et t'admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l'amour avec la barbarie,
Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant !

BAUDELAIRE, Charles, Les Fleurs du Mal, Paris, Librairie Générale Française, 1999, p. 107-108



"Louis XV series of 28 works" , 2004 
Ed. 5, photo 
50 x 61 cm

LVII
A una madona
Exvoto al gusto español

Quiero erigir par ti, Madona, amante mía,
un altar subterráneo al fondo de mi desamparo,
y horadar en el rincón más negro de mi corazón,
lejos del deseo mundanal y de la mirada burlona,
una hornacina, esmaltada de oro y de azul,
donde tú te erguirás, maravillada Estatua.
Con mis Versos bruñidos, malla de metal puro
sabiamente cuajada de rimas de cristal,
haré para tu cabeza una inmensa Corona;
y con mis Celos, oh Madona letal,
sabré confeccionarte un Manto, de manera
bárbara, tosca y rígida, y forrado de recelo,
que, como una garita, encerrará tus encantos;
¡bordado no con Perlas, sino con todas mis Lágrimas!
Tu Vestido será mi Deseo, estremecido,
oscilante, mi Deseo que crece y que desciende,
en las cimas se mece, en los valles descansa,
y reviste con un beso todo tu cuerpo blanco y rosa.
Te haré con mi Respeto unos lindos Zapatos
de raso, humillados por tus divinos pies,
que, por encarcelarlos en un abrazo blando,
guardarán su huella igual que un molde fiel.
Si, pese a todo mi arte diligente, no puedo
labrarte por Escabel una Luna de plata,
situaré a la Serpiente que me roe las entrañas
bajo tus talones, para que pisotees y ridiculices,
Reina victoriosa y fecunda en redenciones,
a ese monstruo infatuado de odio y salivazos.
Verás que mis Pensamientos, en hileras como los Cirios
ante el altar florido de la Reina de las Vírgenes,
constelando de reflejos el techo pintado de azul,
te miran siempre con unos ojos de fuego;
y como todo en mí se enternece contigo y te admira,
todo se hará Benjuí, Incienso, Mirra, Olíbano,
y hacia ti sin cesar, cumbre blanca y nevada,
ascenderá en Vapores mi atormentado Espíritu.

Por último, para completar tu papel de María,
y para mezclar el amor con la barbarie,
¡voluptuosidad negra!, con los siete Pecados capitales,
verdugo repleto de remordimientos, haré siete Puñales
muy afilados y, como un malabarista impasible,
señalando por blanco lo más profundo de tu amor,
los clavaré uno a uno en tu Corazón mientras jadea,
en tu Corazón mientras solloza, en tu Corazón chorreante.

BAUDELAIRE, Charles, Las Flores del Mal, Madrid, EDAF, 2009, p. 130-131
Traducción: Pedro Provencio



"Louis XV series of 28 works" , 2004 
Ed. 5, photo 
61 x 50 cm

jeudi 16 août 2012

Le torse humain

"Elle prend ensuite le carnet de cuir gris, tanné de ses doigts à elle, de ses paumes à lui, où ils notaient tout deux leurs impressions, librement. S'étaient-ils rencontrés ailleurs que dans ce duo fragmenté? Il avait écrit Un aveugle qui chante et un enfant infirme, Le silence entre deux amis, Cheval qui court en liberté et, aussi, Le torse humain... Elle mit bout à bout ces bris de vie et écrivit au-dessus Les Trente-Trois Noms de Dieu. Elle apposa l'initiale J. et la date, le 22 mars 1982. Elle ajouta en sous-titre "Essai d'un journal sans date et sans pronom personnel". Le texte paraîtra le 1er juin 1986, dans la Nouvelle Revue française."

Michèle Goslar, Yourcenar. Biographie. "Qu'il eût été fade d'être heureux", Bruxelles, Racine, 1998, p. 324




Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), 
Torse d'homme
Vers 1799 - Huile sur toile

[Ella toma enseguida el carnet de cuero gris, curtido por los dedos de ella, por las palmas de él, en el que ambos anotaban sus impresiones, libremente. ¿Se habían encontrado en otro sitio más allá de ese dúo fragmentado? Él había escrito Un ciego que canta y un niño inválidoEl silencio entre dos amigosCaballo que corre en libertad y, también, El torso humano... Ella reunió uno tras otro esos fragmentos de vida y escribió encima Los Treinta y Tres Nombres de Dios. Puso la inicial J. y la fecha, 22 de marzo de 1982. Agregó el subtítulo "Ensayo de un diario sin fecha y sin pronombre personal". El texto aparecerá el 1º de junio de 1986 en la Nouvelle Revue française."]



Marguerite Yourcenar, Los treinta y tres nombres de Dios - Les trente-trois noms de Dieu, (Gallimard, 1987), Córdoba, Alción Editora, 2003 - Traducción: Silvia Baron Supervielle

dimanche 12 août 2012

"On vogue aussi bien dans l'Infini et l'Éternel en gondole."
Marguerite Yourcenar. Lettre à Georges de Crayencour du 4 juin 1987. Fonds Georges de Crayencour. 




Canaletto (Giovanni Antonio Canal)
Le grand canal et l'église de la Salute (1730)
Huile sur toile - 49,5 × 72,5 cm


vendredi 10 août 2012

Sophie


"La tendresse humaine a besoin de solitude autour d'elle, et d'un minimum de calme dans l'insécurité. On fait mal l'amour, ou l'amitié, dans une chambrée entre deux corvées de fumier. Contre toute attente, ce fumier, c'est ce qu'était devenue pour moi la vie à Kratovicé. Sophie seule tenait bon dans cette atmosphère d'un ennui sinistre et véritablement mortel, et il est assez naturel que le malheur résiste mieux aux emmerdements que son contraire." 

Marguerite Yourcenar, Le Coup de Grâce, Paris, Gallimard, (1939), 1978, p. 175 



Amedeo Modigliani

Girl with Polka-Dot Blouse 
Oil on canvas, 1919

["La ternura humana necesita soledad a su alrededor y un mínimo de sosiego dentro de la inseguridad. Se hace mal el amor o se vive mal la amistad en un dormitorio de tropa, entre dos faenas de quitar estiércol. Al revés de lo que yo había esperado, la vida en Kratovicé se había convertido para mí en ese estiércol. Tan sólo Sophie resistía en aquella atmósfera de un tedio siniestro y verdaderamente mortal, y es bastante natural, pues la infelicidad resiste mejor los contratiempos que su contraria."]

Traducción: Emma Calatayud

jeudi 10 mai 2012

Les traits

"Assise à la poupe, Sappho regarde vaciller à la lueur d'une lanterne ce beau visage de jeune mâle qui est maintenant son seul soleil humain. Elle retrouve dans ses traits certaines caractéristiques aimées jadis dans la jeune fille en fuite: la même bouche tuméfiée que semble avoir piquée une mystérieuse abeille, le même petit front dur sous des cheveux différents et qui cette fois semblent trempés dans le miel, les mêmes yeux pareils à deux longues turquoises troubles, mais enchâssés dans un visage hâlé au lieu d'être livide, de sorte que la blême jeune fille brune semble n'avoir été qu'une simple cire perdue de ce dieu de bronze d'or."
Marguerite Yourcenar, Sappho ou le suicide in Feux, (Plon, 1957), Paris, Gallimard, 1974, p. 207-208



Artist: Adolphe William Bouguereau
Baigneuse Accroupie (1884)
Huile sur toile - 116 x 89 cm
Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts

["Sentada en la popa, Safo contempla, a la luz de un farol, cómo tiembla aquel hermoso rostro de hombre joven que es ahora su único sol humano. Descubre en sus facciones ciertas características antaño amadas en la muchacha desaparecida: la misma boca tumefacta como si la hubiera picado una misteriosa abeja, la misma frente pequeña y dura bajo unos cabellos diferentes y que ahora parecen empapados de miel, los mismos ojos semejantes a dos largas turquesas rubias, pero engarzadas en un rostro tostado en lugar de ser blanco, de suerte que la pálida joven de cabellos oscuros le parece haber sido una simple reproducción de aquel dios de bronce y oro."]
Traducción de Emma Calatayud.

samedi 28 avril 2012

Perdu

"Il y a que je suis au bord du gouffre.
Au bord de tomber dans le cratère amoureux.
Il y a que demain, au plus tard après demain,  je serai fou de lui.
Et perdu".

Gilles Leroy, Dormir avec ceux qu'on aime, Paris, Mercure de France, 2011, p. 58


George Platt Lynes
Bill Harris (1945) 

["Pasa que estoy al borde del abismo.
Al borde de caer en el cráter amoroso.
Pasa que mañana, a más tardar pasado mañana, estaré loco por él.
Y perdido"]

mercredi 21 mars 2012

L'Objet Aimé

"Tu pourrais t'effondrer d'un seul bloc dans le néant où vont les morts: je me consolerais si tu me léguais tes mains. Tes mains seules subsisteraient, détachées de toi, inexplicables comme celles des dieux de marbre devenues poussière et chaux de leur propre tombe. Elles survivraient à tes actes, aux misérables corps qu'elles ont caressés. Entre les choses et toi, elles ne serviraient plus d'intermédiaires: elles seraient elles-mêmes changées en choses." 

Marguerite Yourcenar, Feux, Gallimard, Paris, 1974, p. 71-72 


Jean Auguste Dominique Ingres
Étude pour la figure d'Angélique - Musée du Louvre

["Podrías hundirte de un solo golpe en la nada, adonde van los muertos: yo me consolaría si me dejaras tus manos en herencia. Sólo tus manos subsistirían, separadas de ti, inexplicables como las de los dioses de mármol convertidos en polvo y cal de su propia tumba. Sobrevivirían a tus actos, a los miserables cuerpos que han acariciado. Entre las cosas y tú no harían ya de intermediarias: ellas mismas se transformarían en cosas."] 
Traducción: Emma Calatayud

jeudi 16 février 2012

En toute sympathie...

"Dans les librairies de la Cinquième Avenue, elle signe son livre à la chaîne d'un chaleureux "with all my sympathy", sans comprendre pourquoi ses lecteurs repartent la mine défaite: la formule, qu'elle a traduite littéralement, est en réalité un message de condoléances..."

LELIÈVRE, Marie-Dominique, Sagan à toute allure, Paris, Denoël, 2008, p. 69




["En las librerías de la Quinta Avenida, firma su libro, uno tras otro, con un caluroso "with all my sympathy", sin comprender por qué sus lectores parten con mala cara: la fórmula, que ella tradujo literalmente, es en realidad un mensaje de condolencias..."]

dimanche 1 janvier 2012

Lire. Aimer. Penser

"Lire. Aimer. Penser. Le plaisir de lire comme celui d'aimer viennent de l'expérience de la rencontre avec la pensée d'un autre hors de toute rivalité, et hors de tout dessein qui subordonnerait le fonctionnement de l'esprit. On partage la saisie de l'autre."

QUIGNARD, Pascal, Vie secrète, Paris, Gallimard, 1998, p. 429




Alighiero e Boetti
29.5 cm x 29.5 cm
[Udire tra le parole = écouter à travers les mots = escuchar entre las palabras]

["Leer. Amar. Pensar. Tanto el placer de leer como el de amar provienen de la experiencia del encuentro con el pensamiento de un otro fuera de toda rivalidad, y fuera de todo propósito que subordinaría el funcionamiento del espíritu. Uno comparte la posesión del otro."]


Pascal Quignard

samedi 10 décembre 2011

Deux amis

"Chaque dimanche, avant la guerre, Morissot partait dès l'aurore, une canne en bambou d'une main, une boîte en fer-blanc sur le dos. Il prenait le chemin de fer d'Argenteuil, descendait à Colombes, puis gagnait à pied l'île Marante. A peine arrivé en ce lieu de ses rêves, il se mettait à pêcher; il pêchait jusqu'à la nuit.

Chaque dimanche, il rencontrait là un petit homme replet et jovial, M. Sauvage, mercier, rue Notre-Dame-de-Lorette, autre pêcheur fanatique. Ils passaient souvent une demi-journée côte à côte, la ligne à la main et les pieds ballants au-dessus du courant; et ils s'étaient pris d'amitié l'un pour l'autre.

En certains jours, ils ne parlaient pas. Quelquefois ils causaient; mais ils s'entendaient admirablement sans rien dire, ayant des goûts semblables et des sensations identiques.

Au printemps, le matin, vers dix heures, quand le soleil rajeuni faisait flotter sur le fleuve tranquille cette petite buée qui coule avec l'eau, et versait dans le dos des deux enragés pêcheurs une bonne chaleur de saison nouvelle, Morissot parfois disait à son voisin: "Hein! quelle douceur!" et M. Sauvage répondait: "Je ne connais rien de meilleur." Et cela leur suffisait pour se comprendre et s'estimer.

A l'automne, vers la fin du jour, quand le ciel, ensanglanté par le soleil couchant, jetait dans l'eau des figures de nuages écarlates, empourprait le fleuve entier, enflammait l'horizon, faisait rouges comme du feu les deux amis, et dorait les arbres roussis déjà, frémissants d'un frisson d'hiver, M. Sauvage regardait en souriant Morissot et prononçait: "Quel spectacle!" Et Morissot émerveillé répondait, sans quitter des yeux son flotteur: "Cela vaut mieux que le boulevard, hein?""

Guy de MAUPASSANT, Deux amis



Claude Monet (1840-1926) 
Huile sur toile - 60 cm x 72.8 cm. 

["Todos los domingos, antes de la guerra, Morissot salía con el alba, con una caña de bambú en la mano y una caja de hojalata a la espalda. Tomaba el ferrocarril de Argenteuil, bajaba en Colombes, y después llegaba a pie a la isla Marante. En cuanto llegaba a aquel lugar de sus sueños, se ponía a pescar, y pescaba hasta la noche.

Todos los domingos encontraba allí a un hombrecillo regordete y jovial, el señor Sauvage, un mercero de la calle Notre Dame de Lorette, otro pescador fanático. A menudo pasaban medio día uno junto al otro, con la caña en la mano y los pies colgando sobre la corriente, y se habían hecho amigos.

Ciertos días ni siquiera hablaban. A veces charlaban; pero se entendían admirablemente sin decir nada, al tener gustos similares y sensaciones idénticas.

En primavera, por la mañana, hacia las diez, cuando el sol rejuvenecido hacía flotar sobre el tranquilo río ese pequeño vaho que corre con el agua, y derramaba sobre las espaldas de los dos empedernidos pescadores el grato calor de la nueva estación, Morissot decía a veces a su vecino: «¡Ah! ¡qué agradable!» y el señor Sauvage respondía: «No conozco nada mejor.» Y eso les bastaba para comprenderse y estimarse.

En otoño, al caer el día, cuando el cielo ensangrentado por el sol poniente lanzaba al agua figuras de nubes escarlatas, empurpuraba el entero río, inflamaba el horizonte, ponía rojos como el fuego a los dos amigos, y doraba los árboles ya enrojecidos, estremecidos por un soplo de invierno, el señor Sauvage miraba sonriente a Morissot y pronunciaba: «¡Qué espectáculo!» Y Morissot respondía maravillado, sin apartar los ojos de su flotador: «Esto vale más que el bulevar, ¿eh?»"]





Guy de Maupassant par Nadar 

jeudi 1 décembre 2011

Le roman

"Le roman connaît l'inconscient avant Freud, la lutte de classes avant Marx, il pratique la phénoménologie (la recherche de l'essence des situations humaines) avant les phénoménologues. Quelles superbes "descriptions phénoménologiques" chez Proust qui n'a connu aucun phénoménologue!" [p. 46]

"...la seul raison d'être d'un roman est de dire ce que seul le roman peut dire." [p. 50]

"Le roman n'examine pas la réalité mais l'existence. Et l'existence n'est pas ce qui s'est passé, l'existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable." [p. 57]

KUNDERA, Milan, L'art du roman, Paris, Gallimard, 1986



Red, Black and White (1977)
Acrylic and collage on canvas, 1220 X 812 mm

["La novela conoce el inconsciente antes que Freud, la lucha de clases antes que Marx, practica la fenomenología (la búsqueda de la esencia de las situaciones humanas) antes que los fenomenólogos. ¡Qué bellas "descripciones fenomenológicas" en Proust, que no conoció ningún fenomenólogo!]

["...la única razón de ser de una novela es decir aquello que sólo la novela puede decir."]

["La novela no examina la realidad sino la existencia. Y la existencia no es lo que sucedió, la existencia es el campo de las posibilidades humanas, todo lo que el hombre puede devenir, todo aquello de lo que es capaz."]


Milan Kundera (Paris, 1975)

mardi 8 novembre 2011

Mémoire / Passé

"Qu'est-ce d'ailleurs encore que la mémoire (ou plus simplement: le passé) sinon un vaste système de rencontres?"

Jean-Pierre Richard, Proust et le monde sensible, Paris, Seuil, 1974, p. 288


Trellis (1962)
Huile sur toile - 138,4 x 106,7 cm

["¿Además, qué es de hecho la memoria (o más simplemente: el pasado) sino un vasto sistema de encuentros?"]

mercredi 19 octobre 2011

Verlaine et Rimbaud

"Verlaine et Rimbaud sont de grands promeneurs, et tandis qu'ils arpentent les boulevards, Paul écoute l'adolescent lui exposer ses idées révolutionnaires sur l'art, sur la nécessité de détruire le monde ancien pour créer un univers neuf qui deviendrait le domaine de la seule poésie. Verlaine, au propre comme au figuré, a du mal à suivre. Longtemps après, il se souviendra avec une admiration stupéfaite des jambes puissantes d'Arthur, de ses jambes de marcheur-né. Soudain, Paul se sent rappelé vers son véritable destin, et son enthousiasme croît à mesure qu'il plonge ses regards dans les yeux bleu métallique, à mesure qu'il prête l'oreille à cet étrange grasseyement venu du nord qui, au fil des semaines, s'adoucit pour se transformer en intonations parisiennes. Verlaine présente Rimbaud à ses amis dans les cafés où ils se réunissent régulièrement. Le photographe Étienne Carjat l'immortalise: c'est le cliché le plus célèbre du jeune poète, qui donne à voir ses cheveux en bataille, ses yeux de husky et sa bouche incertaine -ou peut-être cruelle." 

Edmund White, Rimbaud. La double vie d'un rebelle, Paris, Payot, 2008, p. 83-84 [Traduit de l'anglais par Danièle Momont]


Arthur Rimbaud par Étienne Carjat (octobre 1871)

["Verlaine y Rimbaud son grandes caminantes, y mientras recorren los bulevares, Paul escucha al adolescente exponer sus ideas revolucionarias sobre el arte, sobre la necesidad de destruir el mundo antiguo para crear un  universo nuevo que resultará el dominio exclusivo de la poesía. Verlaine, tanto en sentido propio como  figurado, lo sigue con dificultad. Mucho más tarde recordará con una admiración estupefacta las piernas potentes de Arthur, sus piernas de caminante nato. De pronto Paul se siente llamado hacia su destino verdadero, y su entusiasmo crece a medida que hunde su mirada en los ojos azul metálico, a medida que presta su oído a esa extraña pronunciación gutural de la r, llegada del norte, y que al cabo de unas semanas se suaviza para transformarse en entonaciones parisinas. Verlaine presenta Rimbaud a sus amigos en los cafés  en los que se reúnen regularmente. El fotógrafo Étienne Carjat lo inmortaliza: es el cliché más célebre del joven poeta, que deja ver sus cabellos despeinados, sus ojos de husky y su boca incierta o quizás cruel." ]

jeudi 15 septembre 2011

Huit

Huit sont les témoins de l’amour: le cœur qui pince, les membres qui se refusent, le corps exténué, la langue nouée, la maigreur, les larmes, le secret, l’ardeur sexuelle solitaire. Tels sont les huit témoins de l’amour-passion. 
*
Huit sont les conséquences de l’amour. L’amour hâte le cœur, éteint les maux, écarte la mort, défait les liens qui ne le concernent pas, augmente le jour, raccourcit la nuit, rend l’âme audacieuse, illumine le soleil. Tels sont les huit effets de l’amour-passion. 

Pascal Quignard, Vie secrète, Paris, Gallimard-Folio, 1998, p. 205



Marc Chagall
Huile sur toile - 69,7 x 49,5 cm

[Ocho son los testigos del amor : el corazón que punza, los miembros que se niegan, el cuerpo extenuado, la lengua anudada, la delgadez, las lágrimas, el secreto, el ardor sexual solitario. Tales son los ocho testigos del amor-pasión. 
*
Ocho son las consecuencias del amor. El amor apresura el corazón, apaga los males, aleja la muerte, deshace los lazos que no le interesan, aumenta el día, acorta la noche, vuelve el alma audaz, ilumina el sol. Tales son los ocho efectos del amor-pasión.]

jeudi 1 septembre 2011

Sensation

"Ce que l'intelligence nous rend sous le nom de passé n'est pas lui. En réalité, comme il arrive pour les âmes des trépassés dans certaines légendes populaires, chaque heure de notre vie, aussitôt morte, s'incarne et se cache en quelque objet matériel. Elle y reste captive, à jamais captive, à moins que nous ne rencontrions l'objet. À travers lui nous la reconnaissons, nous l'appelons, et elle est délivrée. L'objet où elle se cache, ou la sensation, puisque tout objet par rapport à nous est sensation, nous pouvons très bien ne le rencontrer jamais."
Marcel Proust, Contre Sainte- Beuve, Paris, NRF, "Idées", 1965, p. 55


Pablo Ruiz Picasso (1881-1973)
Violon et feuille de musique, Automne 1912
Papiers et partition musicale collés sur carton, gouache, 78 x 65 cm

["Eso que la inteligencia nos brinda bajo el nombre de pasado no lo es tal. En realidad, como sucede con las almas de los muertos en algunas leyendas populares, cada hora de nuestra vida, inmediatamente después de muerta, se encarna y se esconde en algún objeto material. Permanece allí cautiva, para siempre cautiva, a menos que encontremos el objeto. A través de él la reconocemos, la llamamos y ella es liberada. El objeto en el que se esconde, o la sensación, ya que todo objeto con respecto a nosotros es sensación, podemos muy bien no encontrarlo nunca."]

jeudi 7 juillet 2011

Gris-brun

"C'était un caractère très étrange: extraordinairement passive. Presque contemplative. Mais cette apparence d'inertie contenait une activité propre. Elle était profondément calme, calme sans aucune sérénité, calme de façon inlassable, opiniâtre, à tout instant concentrée. Elle n'obéissait à personne mais commandait encore moins à qui que ce fût. Elle parlait peu. Elle menait une vie presque invisible, entourée de ses trois pianos, abritée par ses trois pianos, inamicale, presque recluse, laborieuse, parallèle. Quand elle leva les yeux sur l'eau qui coulait, devant elle, tout ce qui l'entourait était devenu gris. Seul le quai d'en face était blanchâtre. Les arbres et la péniche étaient gris-brun dans la lumière terne." 

Pascal Quignard, Villa Amalia, Paris, Gallimard, 2006, p. 34



Agnes Martin (1912-2004) 
Untitled - Signed and dated 'a. martin 1963' (on the backing board) 
Ink on paper - 12 x 9½ in. (30.5 x 24.1 cm.) 

[“Era una actitud muy extraña: extraordinariamente pasiva. Casi contemplativa. Pero esa apariencia de inercia contenía una actividad propia. Estaba profundamente tranquila, tranquila sin ninguna serenidad, tranquila de manera incansable, persistente, constantemente concentrada. No obedecía a nadie pero dirigía aún mucho menos a quien fuese. Hablaba poco. Llevaba una vida casi invisible, rodeada de sus tres pianos, protegida por sus tres pianos, hostil, casi recluida, laboriosa, paralela. Cuando levantó su mirada hacia el agua que corría, ante ella, todo lo que la rodeaba se volvió gris. Únicamente el muelle de enfrente era blancuzco. Los árboles y la barca eran gris-pardo en la luz débil.”]

jeudi 9 juin 2011

Le jardin

Des milliers et des milliers d'années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d'éternité
Où tu m'as embrassé
Où je t'ai embrassée
Un matin dans la lumière de l'hiver
Au parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.



Prévert, Jacques, "Le jardin" in Paroles, Paris, Gallimard, 1949, p. 204


Robert Doisneau – Les amoureux aux poireaux – Paris -1950

Millares y millares de años
No sabrían alcanzar
Para decir
Ese pequeño segundo de eternidad
En el que me besaste
En el que te besé
Una mañana a la luz del invierno
En el parque Montsouris en París
En París
Sobre la tierra
La tierra que es un astro.

jeudi 2 juin 2011

La nuit

"Deux heures du matin. Les rats rongent dans les poubelles les restes du jour mort: la ville appartient aux fantômes, aux assassins, aux somnambules. Où es-tu? Dans quel lit? Dans quel rêve? Si je te rencontrais, tu passerais sans me voir car nous ne sommes pas vus par nos songes. Je n'ai pas faim: je ne parviens pas ce soir à digérer ma vie. Je suis fatiguée. J'ai marché toute la nuit pour semer ton souvenir. Je n'ai pas sommeil: je n'ai même pas appétit de la mort. Assise sur un banc, abrutie malgré moi par l'approche du matin, je cesse de me rappeler que j'essaye de t'oublier. Je ferme les yeux..."
Marguerite Yourcenar, Feux, Paris, Gallimard, 1974, p. 169


Edvard Munch
Huile sur toile - 90cm x 119,5 cm

["Las dos de la madrugada. Las ratas roen en los cubos de basura los restos de un día muerto: la ciudad pertenece a los fantasmas, a los asesinos, a los sonámbulos. ¿Dónde estás tú, en qué cama, en qué sueño? Si tropezara contigo, pasarías sin verme, pues no somos percibidos por nuestros sueños. No tengo hambre: no consigo digerir mi vida esta noche. Estoy cansada: anduve toda la noche para escapar de tu recuerdo. No tengo sueño: ni siquiera siento apetito de la muerte. Sentada en un banco, embrutecida a pesar mío por la llegada de la mañana, dejo de recordar que trato de olvidarte. Cierro los ojos..."]
Marguerite Yourcenar, Fuegos in Cuentos completos, Alfaguara, 2010, p. 157 - Traducción de Emma Calatayud. 

mardi 3 mai 2011

La conversation infinie

Un calzado
nuevo
te hace
mirarte
una y otra
vez en el espejo

los primeros pasos
condicionan 
tu andar furtivo:
te cuidás
de ciertas pisadas
de ciertos ademanes
del metatarso
tieso

al poco
tiempo 
todo
vuelve
a la normalidad

así
la mujer
que te espera
es una incógnita

pero 
el cuerpo
vuelve
a circular
en el espejo 

pero esta vez
tu rostro
tiene 
palabras
que nunca
viste

Andrés Boiero, "La conversación infinita" in Texas, Buenos Aires, Milena Caserola, 2011, p. 13-14





Photo-souvenir Daniel Buren: SAAL 1 GETEILT DURCH 3 = SAAL 1 MULTIPLIZIERT MIT 2 
Work in situ, Staatliche Kunsthalle Baden-Baden, 2011
© DB-ADAGP Paris + Wolfgang Günzel



Des chaussures 
neuves
te font
te regarder
encore et encore
dans la glace

les premiers pas
conditionnent 
ta démarche furtive:
tu fais attention 
à certains pas
à certains gestes
du métatarse 
tendu

peu de temps
après
tout 
revient 
à la normalité

ainsi
la femme 
qui t'attend
est un mystère

mais
le corps
revient 
circuler
dans la glace

mais cette fois
ton visage
des mots
que tu n'as jamais
vus

jeudi 21 avril 2011

LE CRÉPUSCULE DU SOIR

Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve.

Ô soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd'hui
Nous avons travaillé ! - c'est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s'alourdit,
Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.
Cependant des démons malsains dans l'atmosphère
S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire,
Et cognent en volant les volets et l'auvent.
À travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s'allume dans les rues ;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main ;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.
On entend çà et là les cuisines siffler,
Les théâtres glapir, les orchestres ronfler ;
Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices,
S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,
Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent !
La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - plus d'un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n'ont jamais vécu !

(1852)

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Librairie Générale Française, 1999, p.147-148


Paul Delvaux
Mujeres de vida galante (1962)
Óleo sobre lienzo - 140 x 122 cm


CREPÚSCULO VESPERTINO

He aquí la noche encantadora, amiga del criminal;
Llega como un cómplice, a paso de lobo; el cielo
Se cierra lentamente cual una gran alcoba,
Y el hombre impaciente se cambia en bestia salvaje.

¡Oh noche!, amable noche, deseada por aquel
Cuyos brazos, sin mentir, pueden decir: ¡Hoy
Hemos trabajado! — Es la noche la que alivia
Los espíritus que devora un dolor salvaje,
El sabio obstinado cuya frente se abruma,
Y el obrero encorvado que recobra su lecho.
Mientras tanto demonios malignos en la atmósfera
Se despiertan pesadamente, cual hombres de negocios,
Y golpean al volar los postigos y el altillo.
A través de las luces que atormenta el viento
La Prostitución se enciende en las calles;
Como un hormiguero ella abre sus salidas;
Por todas partes traza un oculto camino,
Cual el enemigo que intenta un asalto;
Ella se agita en el seno de la ciudad de fango
Como un gusano que roba al Hombre lo que ha comido.
Se escuchan aquí y allí las cocinas silbar,
Los teatros chillar, las orquestas roncar;
Las mesas redondas, en las que el juego hace las delicias,
Llénanse de rameras y de estafadores, sus cómplices,
Y los ladrones, que no tienen tregua ni merced,
Pronto han de comenzar su trabajo, ellos también,
Y forzar suavemente las puertas y las cajas
Para vivir unos días y vestir a sus amantes.

¡Recógete, alma mía, en este grave instante,
Y cierra tu oído a este rugido.
Esta es la hora en que los dolores de los enfermos se agudizan!
La Noche sombría les agarra la garganta; concluyen
Su destino y van hacia la fosa común;
El hospital se llena de sus suspiros. — Más de uno
No llegará jamás en busca de la sopa perfumada,
Al rincón del hogar, de noche, junto a un alma amada.

Todavía la mayoría de ellos, jamás han conocido
La Dulzura del hogar, ¡Jamás han vivido!

(1852)

Charles Baudelaire, Las Flores del Mal

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