vendredi 28 mai 2010

L'archive

"Le désir de garder est aussi inséparable du désir de détruire. C'est que garder, c'est perdre. Si pour garder la trace de ce qui se passe maintenant, je prends une note pour ne pas l'oublier, je l'inscris sur du papier, et je la mets dans ma poche. Si ça s'arrête là ça veut dire que je perds, que j'expose le papier à sa perte. Pour garder, il faut que j'expose à la perte. Cette exposition à la perte, c'est un geste double dont la dualité est irréductible. Vouloir garder en mémoire, c'est exposer à l'oubli. C'est ce que j'appelle "le mal d'archive". Il y a la souffrance liée à l'archive et le désir d'archive. C'est le désir d'archive qui traverse cette expérience de la destructibilité radicale de l'archive. 
Si on était sûr que la destructibilité de l'archive était accidentelle, et que dans certains cas, il peut y avoir un accident mais que tout peut être gardé en principe, il n'y aurait ni besoin d'archive, ni souci d'archive. S'il y a un souci et une souffrance de l'archive, c'est parce qu'on sait que tout peut être détruit sans restes. Non seulement sans trace de ce qui a été, mais sans mémoire de la trace, sans le nom de la trace. Et c'est ce qui est à la fois la menace de l'archive et la chance de l'archive. L'archive doit être dehors, exposé au dehors."

Jacques Derrida, "Archive et brouillon" dans Pourquoi la critique génétique? Methodes, théories, Paris, CNRS, 1998


Gerhard Richter
Zeitungsfotos
Newspapers photographs (1962)
51.7 x 66.7 cm 
Atlas Sheet: 7 

["El deseo de guardar es también inseparable del deseo de destruir. Es que guardar es perder. Si para guardar la huella de lo que sucede en este momento, tomo nota para no olvidarlo, lo inscribo sobre un papel, y lo guardo en mi bolsillo. Si esto termina aquí quiere decir que pierdo, que expongo el papel a su pérdida. Para guardar es necesario exponer a la pérdida. Esta exposición a la pérdida es un gesto doble cuya dualidad es irreductible. Querer guardar en la memoria, es exponer al olvido. Es lo que yo llamo "el mal de archivo". Existe el padecimiento ligado al archivo y el deseo de archivo. Es el deseo de archivo que atraviesa esa experiencia de la destructibilidad radical del archivo. 
Si estuviéramos seguros de que la destructibilidad del archivo es accidental, y que, en ciertos casos, puede haber un accidente pero que todo puede ser, en principio,  guardado, no habría ni necesidad de archivo, ni preocupación de archivo. Si existe una preocupación y un padecimiento del archivo, es porque sabemos que todo puede ser destruido sin dejar restos. No solamente sin huella de lo que ha sido, sino también sin memoria de la huella, sin el nombre de la huella. Y lo que es al mismo tiempo la amenaza del archivo es la posibilidad del archivo. El archivo debe estar afuera, expuesto al afuera."]

3 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Disons que d'écrire cela l'arrangeait bien. Prêchant pour sa propre paroisse, il est partout sauf dans l'universel.

Isabelle a dit…

Penser qu'il est possible de conserver trace de ce qui a été dit, vu, vécu constitue probablement une forte illusion. Laquelle est d'autant plus redoutable qu'elle s'accompagne d'une tranquillité de l'esprit qui se repose sur les archives. Rien n'est plus traitre, en effet, que de croire en la force de ce qui est faible, en la fiabilité de ce qui est incertain, en la durabilité de ce qui est éphémère...
Pour toutes ces raisons, il semble important de se redire que tout est voué à disparaître. Toutefois, consolons-nous en affirmant que ce qui a été a été, et que ceci demeure éternellement vrai, même si aucun esprit ne le nomme et ne (se)le rappelle plus !

St Loup a dit…

Olivier: Désolé. Il me semble que tu n'aimes pas Derrida...
Isabelle: Très bonne réflexion! Merci!

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