mardi 28 août 2012

Madone

LVII
A une Madone
Ex-voto dans le goût espagnol

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal,
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;
Et dans ma jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied tailler une Lune d'argent,
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et féconde en rachats,
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges,
Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu ;
Et comme tout en moi te chérit et t'admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l'amour avec la barbarie,
Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant !

BAUDELAIRE, Charles, Les Fleurs du Mal, Paris, Librairie Générale Française, 1999, p. 107-108



"Louis XV series of 28 works" , 2004 
Ed. 5, photo 
50 x 61 cm

LVII
A una madona
Exvoto al gusto español

Quiero erigir par ti, Madona, amante mía,
un altar subterráneo al fondo de mi desamparo,
y horadar en el rincón más negro de mi corazón,
lejos del deseo mundanal y de la mirada burlona,
una hornacina, esmaltada de oro y de azul,
donde tú te erguirás, maravillada Estatua.
Con mis Versos bruñidos, malla de metal puro
sabiamente cuajada de rimas de cristal,
haré para tu cabeza una inmensa Corona;
y con mis Celos, oh Madona letal,
sabré confeccionarte un Manto, de manera
bárbara, tosca y rígida, y forrado de recelo,
que, como una garita, encerrará tus encantos;
¡bordado no con Perlas, sino con todas mis Lágrimas!
Tu Vestido será mi Deseo, estremecido,
oscilante, mi Deseo que crece y que desciende,
en las cimas se mece, en los valles descansa,
y reviste con un beso todo tu cuerpo blanco y rosa.
Te haré con mi Respeto unos lindos Zapatos
de raso, humillados por tus divinos pies,
que, por encarcelarlos en un abrazo blando,
guardarán su huella igual que un molde fiel.
Si, pese a todo mi arte diligente, no puedo
labrarte por Escabel una Luna de plata,
situaré a la Serpiente que me roe las entrañas
bajo tus talones, para que pisotees y ridiculices,
Reina victoriosa y fecunda en redenciones,
a ese monstruo infatuado de odio y salivazos.
Verás que mis Pensamientos, en hileras como los Cirios
ante el altar florido de la Reina de las Vírgenes,
constelando de reflejos el techo pintado de azul,
te miran siempre con unos ojos de fuego;
y como todo en mí se enternece contigo y te admira,
todo se hará Benjuí, Incienso, Mirra, Olíbano,
y hacia ti sin cesar, cumbre blanca y nevada,
ascenderá en Vapores mi atormentado Espíritu.

Por último, para completar tu papel de María,
y para mezclar el amor con la barbarie,
¡voluptuosidad negra!, con los siete Pecados capitales,
verdugo repleto de remordimientos, haré siete Puñales
muy afilados y, como un malabarista impasible,
señalando por blanco lo más profundo de tu amor,
los clavaré uno a uno en tu Corazón mientras jadea,
en tu Corazón mientras solloza, en tu Corazón chorreante.

BAUDELAIRE, Charles, Las Flores del Mal, Madrid, EDAF, 2009, p. 130-131
Traducción: Pedro Provencio



"Louis XV series of 28 works" , 2004 
Ed. 5, photo 
61 x 50 cm

2 commentaires:

Nicolas Raviere a dit…

Baudelaire, la charnière entre la classicisme et la modernité... tout comme cette photo (que je vais te piquer pour peut-être illustrer un billet) : bref, excellent choix :)

St Loup a dit…

Merci Nicolas! Touché par ton commentaire.
Je trouve le travail de Juergen Teller formidable. Je suis heureux de savoir que tu aimes aussi. :-)

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