mercredi 6 mai 2009

Le temps

« Alors le temps cessa d’exister. C’était comme si on avait effacé les chiffres d’un cadran, et le cadran lui-même pâlissait comme la lune au ciel en plein jour. Sans horloge (celle de la maisonnette ne fonctionnait plus), sans montre (il n’en avait jamais possédé), sans calendrier des bergers pendu au mur, le temps passait comme l’éclair ou durait toujours. Le soleil se levait, puis se couchait, à une place à peine autre que la veille, un peu plus tôt chaque soir, un peu plus tard chaque matin. L’aube et le crépuscule étaient les seuls événements qui comptaient. Entre eux, quelque chose coulait, qui n’était pas le temps, mais la vie. Les phases de la lune n’importaient plus, sauf que, quand elle était pleine, le sable la nuit brillait blanc. Il ne se souvenait plus bien des noms et des dessins des constellations, qu’il avait sus par cœur au temps où le pilote de la Téthys mettait le cap sur Aldébaran ou sur les Pléiades, mais peu importait : c’étaient de toute façon d’incompréhensibles feux qui brûlaient au ciel. Des nuages ou des bancs de brume en cachaient presque toujours une partie ; ou bien elles reparaissaient comme des amies perdues. Avant que la maladie, en s’aggravant, lui enlevât peu à peu la force d’aimer passionnément grand-chose, il continuait d’aimer passionnément la nuit. Elle semblait ici illimitée, toute-puissante : la nuit sur la mer prolongeait de tous côtés la nuit sur l’île. Parfois, sorti de la maison, dans le noir, où l’on n’apercevait indistinctement que la masse molle des dunes et, dans l’entrebâillement, le blanc moutonnement de la mer, il enlevait ses vêtements, et se laissait pénétrer par cette noirceur et ce vent presque tiède. Il n’était alors qu’une chose parmi les choses. Il n’aurait su dire pourquoi, ce contact de sa peau avec l’obscurité l’émouvait comme autrefois l’amour. À d’autres moments, le vide nocturne était terrible. »
Marguerite Yourcenar, Un homme obscur, Paris, Gallimard, 1982, p.163-164


Roberto Aizenberg
Torre (1975-1989)
Huile sur toile - 60 x 34 cm.

"Entonces el tiempo dejó de existir. Era como si se hubieran borrado las cifras de un cuadrante, y el cuadrante mismo palideciera como la luna en el cielo en pleno día. Sin reloj de pared (el de la casita no funcionaba más), sin reloj pulsera (nunca había tenido uno), sin calendario de los pastores colgado en la pared, el tiempo pasaba como un destello o duraba para siempre. El sol se levantaba para luego ponerse, en un sitio apenas distinto del anterior, un poco más tarde cada mañana. El alba y el crepúsculo eran los únicos hechos que contaban. Entre ellos, algo pasaba, que no era el tiempo, sino la vida. Las fases de la luna no importaban más, salvo que, cuando era luna llena, la arena la noche brillaba blanca. Ya no se acordaba bien de los nombres y de los dibujos de las constelaciones, que alguna vez había conocido de memoria en el tiempo en que el piloto de la Téthys hacía rumbo hacia Aldebarán o hacia las Pléyades, aunque poco importaba: de todas maneras eran fuegos incomprensibles que brillaban en el cielo. Nubes o bancos de bruma escondían casi siempre una parte; o bien reaparecían como amigas perdidas. Antes de que la enfermedad, al agravarse, le quitara poco a poco la fuerza de amar apasionadamente algo, continuaba amando apasionadamente la noche. Parecía ilimitada aquí, poderosa: la noche sobre el mar prolongaba por todas partes la noche sobre la isla. A veces, al salir de la casa, en la oscuridad, no percibiendo indistintamente otra cosa más que la masa blanda de las dunas y, al entornar los ojos, el cabrilleo del mar, se quitaba la ropa y se dejaba penetrar por esa negrura y ese viento casi tibio. Entonces no era más que una cosa entre las cosas. No hubiera sabido decir por qué ese contacto de su piel con la oscuridad lo emocionaba como alguna vez lo había emocionado el amor. En otros momentos, el vacío nocturno era terrible."

3 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Woaw ! Magnifique texte.

St Loup a dit…

Merci de ton message Olivier! Cet "homme obscure" de Yourcenar est un texte sublime.

Aurélia Jarry a dit…

Wouah...!!! Impressionnant. Comme la mer, la nuit. La solitude.
Comme tu sais, en français, la mer est la mère. C'est la plus belle. Celle du calme. Même dans ses moutonnements...

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