jeudi 1 octobre 2009

Le visage

Portraits (1998)

"Au mur, il y a un trou blanc, la glace. C'est un piège. Je sais que je vais m'y laisser prendre. Ça y est. La chose grise vient d'apparaître dans la glace. Je m'approche et je la regarde, je ne peux plus m'en aller.
C'est le reflet de mon visage. Souvent, dans ces journées perdues, je reste à le contempler. Je n'y comprends rien, à ce visage. Ceux des autres ont un sens. Pas le mien. Je ne peux même pas décider s'il est beau ou laid. je pense qu'il est laid, parce qu'on me l'a dit. Mais cela ne me frappe pas. Au fond je suis même choqué qu'on puisse lui attribuer des qualités de ce genre, comme si on appelait beau ou laid un morceau de terre ou bien un bloc de rocher.
Il y a quand même une chose qui fait plaisir à voir, au-dessus des molles régions des joues, au-dessus du front: c'est cette belle flamme rouge qui dore mon crâne, ce sont mes cheveux. Ça, c'est agréable à regarder. C'est une couleur nette au moins: je suis content d'être roux. C'est là, dans la glace, ça se fait voir, ça rayonne. J'ai encore de la chance: si mon front portait une de ces chevelures terne qui 'arrivent pas à se décider entre le châtain et le blond, ma figure se perdrait dans le vague, elle me donnerait le vertige."
Jean-Paul Sartre, La nausée, Paris, Gallimard, 1938, pp. 33-34

[En la pared hay un agujero blanco, el espejo. Es una trampa. Sé que voy a dejarme atrapar. Ya está. La cosa gris acaba de aparecer en el espejo. Me acerco y la miro; ya no puedo irme.
Es el reflejo de mi rostro. A menudo en estos días perdidos, me quedo contemplándolo. No comprendo nada en este rostro. Los de los otros tiene un sentido. El mío, no. Ni siquiera puedo decidir si es lindo o feo. Pienso que es feo, porque me lo han dicho. Pero no me sorprende. En el fondo, a mí mismo me choca que puedan atribuirle cualidades de ese tipo, como si llamaran lindo o feo a un montón de tierra o a un bloque de piedra.
Sin embargo hay algo agradable a la vista, encima de las regiones blandas de las mejillas, sobre la frente: la hermosa llamarada roja que me dora el cráneo, mi pelo. Es agradable de mirar. Por lo menos es un color definido: estoy contento de ser pelirrojo. Ahí, en el espejo, se hace ver, resplandece. Tengo suerte: si mi frente llevara una de esas cabelleras que no llegan a decidirse entre el castaño y el rubio, mi cara se perdería en el vacío, me daría vértigo.]
Jean-Paul Sartre, La náusea, México, Editorial Época, p. 13. Traducción de Aurora Bernárdez.


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