lundi 29 juin 2009

L'inacceptable

"Le débat entre ceux qui affirment que l'univers a été crée par Dieu et ceux qui pensent qu'il est apparu tout seul concerne quelque chose qui dépasse notre entendement et notre expérience. Autrement réelle est la différence entre ceux qui doutent de l'être tel qu'il a été donné à l'homme (peu importe comment et par qui) et ceux qui y adhèrent sans réserve. 
Derrière toutes les croyances européennes, qu'elles soient religieuses ou politiques, il y a le premier chapitre de la Genèse, d'où il découle que le monde a été créé comme il fallait qu'il le fût, que l'être est bon et que c'est donc une bonne chose de procréer. Appelons cette croyance fondamentale accord catégorique avec l'être
Si, récemment encore, dans les livres, le mot merde était remplacé par de pointillés, ce n'était pas pour des raisons morales. On ne va tout de même pas prétendre que la merde est immorale! Le désaccord avec la merde est métaphysique. L'instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l'une: ou bien la merde est acceptable (alors ne vous enfermez pas à clé dans les waters!), ou bien la manière dont on nous a créés est inadmissible. 
Il s'ensuit que l'accord catégorique avec l'être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n'existait pas. Cet idéal esthétique s'appelle le kitsch
C'est un mot allemand qui est apparu au milieu du XIXe siècle sentimental et que s'est ensuite répandu dans toutes les langues. Mais l'utilisation fréquente qui en est faite a gommé sa valeur métaphysique originelle, à savoir: le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde; au sens littéral comme au sens figuré: le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable."

Milan Kundera, L'insoutenable légèrté de l'être, Paris, Gallimard, 1987, p. 356-357

Miguel Bosé 
Pedro Almodóvar - Tacones lejanos (1991)

[El debate entre los que afirman que el universo fue creado por Dios y aquellos que piensan que apareció por sí mismo, tiene que ver con algo que sobrepasa nuestro entendimiento y nuestra experiencia. Es también real la diferencia entre los que dudan del ser tal y como ha sido dado al hombre (poco importa cómo y por quién) y aquellos que adhieren a él sin reserva. 
Detrás de todas las creencias europeas, sean religiosas o políticas, existe el primer capítulo del Génesis, del cual resulta que el mundo fue creado como era necesario que fuera, que el ser es bueno y que, por lo tanto, la procreación es algo bueno. Llamemos a esta creencia fundamental acuerdo categórico con el ser
Si hasta hace poco aun, en los libros, la palabra mierda era reemplazada por una línea de puntos, no era por razones morales. ¡No vamos sin embargo a afirmar que la mierda es inmoral! El desacuerdo con la mierda es metafísico. El instante de la defecación es la pueba cotidiana del carácter inaceptable de la Creación. Una de dos: o bien la mierda es aceptable (¡entonces no se encierren con llave en el baño!), o bien el modo en el que fuimos creados es inadmisible. 
Consecuentemente el acuerdo categórico con el ser tiene como ideal estético un mundo en el que la mierda es negada y en el que todos se comportan como si ella no existiera. Ese ideal estético se llama kitsch
Es una palabra alemana que apareció a mediados del siglo XIX sentimental y que más tarde se extendió a todas las lenguas. Pero la utilización frecuente que se ha hecho de ella ha borrado su valor metafísico original, a saber: el kitsch por esencia es la negación absoluta de la mierda; tanto en el sentido literal como en el figurado: el kitsch excluye de su campo de visión todo aquello que la existencia humana tiene de esencialmente inaceptable.]

lundi 15 juin 2009

Des raisons II

"J'ai senti venir la mort dans le miroir, dans mon regard dans le miroir, bien avant qu'elle y ait vraiment pris position. Est-ce que je jetais déjà cette mort par mon regard dans les yeux des autres? Je ne l'ai pas avoué à tous. Jusque-là, jusqu'au livre, je ne l'avais pas avoué à tous. Comme Muzil, j'aurais aimé avoir la force, l'orgueil insensé, la générosité aussi, de ne l'avouer à personne, pour laisser vivre les amitiés libres comme l'air et insouciantes et éternelles. Mais comment faire quand on est épuisé, et que la maladie arrive même à menacer l'amitié?"
Hervé Guibert, À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, 1990, p.15

Matine Franck
Hervé Guibert (1987) 

"Sentí venir la muerte en el espejo, en mi mirada en el espejo, mucho antes de que haya realmente tomado posición. ¿Despedía ya esta muerte a través de mi mirada en los ojos de los demás? No se lo confesé a todos. Hasta ahora, hasta el libro, no se lo había confesado a todos. Al igual que Muzil me hubiera gustado tener la fuerza, el orgullo insensato, la generosidad también, de no confesárselo a nadie, para dejar vivir las amistades libres como el viento, despreocupadas, eternas. Pero ¿cómo hacer cuando se está agotado, cuando la enfermedad llega incluso a poner en riesgo la amistad?"

samedi 13 juin 2009

Des raisons

"Je puis seulement énumérer les raisons pour lesquelles j'imagine écrire: 
1. pour un besoin de plaisir, qui, on le sait bien, n'est pas sans rapport avec l'enchantement érotique;
2. parce que l'écriture décentre la parole, l'individu, la personne, accomplit un travail dont l'origine est indiscernable;
3. pour mettre en œuvre un "don", satisfaire une activité distinctive, opérer une différence;
4. pour être reconnu, gratifié, aimé, contesté, constaté;
5. pour remplir des tâches idéologiques ou contre-idéologiques;
6. pour obéir aux injonctions d'une idéologie secrète, d'une distribution combattante, d'une évaluation permanente;
7. pour satisfaire ses amis, irriter ses ennemis;
8. pour contribuer à fissurer le système symbolique de notre société;
9. pour produire des sens nouveaux, c'est-à-dire des forces nouvelles, s'emparer des choses d'une façon nouvelle, ébranler et changer la subjugation des sens;
10. enfin, [...] pour accréditer ainsi la valeur supérieure d'une activité pluraliste, sans causalité, finalité ni généralité, comme l'est le texte lui-même."

Roland Barthes, "Dix raisons d'écrire", Il Corriere della sera, 29 mai 1969, repris dans Œuvres complètes, éditées par É. Marty, tome II, Seuil, 1994, p. 541

Henri Cartier-Bresson
Roland Barthes (1963) 

"Solamente puedo enumerar las razones por las cuales creo escribir: 
1) por una necesidad de placer que, como es sabido, guarda relación con el encanto erótico; 
2) porque la escritura descentra el habla, el individuo, la persona, realiza un trabajo cuyo origen es indiscernible; 
3) para poner en práctica un "don", satisfacer una actividad distintiva, producir una diferencia; 
4) para ser reconocido, gratificado, amado, discutido, confirmado; 
5) para cumplir cometidos ideológicos o contra-ideológicos; 
6) para obedecer las órdenes terminantes de una tipología secreta, de una distribución combatiente, de una evaluación permanente; 
7) para satisfacer a amigos e irritar a enemigos; 
8) para contribuir a agrietar el sistema simbólico de nuestra sociedad; 
9) para producir sentidos nuevos, es decir, fuerzas nuevas, apoderarse de las cosas de una manera nueva, socavar y cambiar la subyugación de los sentidos; 
10) finalmente, y tal como resulta de la multiplicidad y la contradicción deliberadas de estas razones, para desbaratar la idea, el ídolo, el fetiche de la Determinación Única, de la Causa (causalidad y "causa noble"), y acreditar así el valor superior de una actividad pluralista, sin causalidad, finalidad ni generalidad, como lo es el texto mismo."

dimanche 7 juin 2009

La trace I

"Très vite dans ma vie il a été trop tard. [...]
L'histoire de ma vie n'existe pas. Ça n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y avait personne."

Marguerite Duras, L'amant, Paris, Minuit, 1984 p. 9-14

Amedeo Modigliani
Madame Zborowska, 1918
Oil on canvas. 64.5 x 46 cm

"Muy pronto en mi vida fue demasiado tarde. [...]
La historia de mi vida no existe. Eso no existe. Nunca hay centro. Ni camino, ni línea. Sólo grandes espacios en los que uno cree que había alguien, no es cierto, no había nadie."

lundi 1 juin 2009

Les signes I

"Combien il est difficile, dans chaque domaine, de renoncer à cette croyance à une réalité extérieure. Les signes sensibles nous tendent un piège, et nous invitent à chercher leur sens dans l'objet qui les porte ou les émet; si bien que la possibilité d'échec, le renoncement à interpréter, est comme le ver dans le fruit. Et même nous avons vaincu les illusions objectivistes dans la plupart des domaines, elles subsistent encore en Art, où nous continuons à croire qu'il faudrait savoir écouter, regarder, décrire, s'adresser à l'objet, le décomposer et le triturer pour en extraire une vérité." 
Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris, PUF, 1964, p. 43

Pierre Bonnard
Grande salle à manger sur le jardin (1934-1935)
Huile sur toile - 50 x 53 1/4 inch.

"Cuán difícil es, en cada dominio, renunciar a esa creencia en una realidad exterior. Los signos sensibles nos tienden una trampa y nos invitan a buscar su sentido en el objeto que los posee o los emite; tanto que la posibilidad del fracaso, la renuncia a interpretar, es como el gusano en la fruta. Y aún cuando hayamos vencido las ilusiones objetivistas en la mayoría de los dominios, ellas subsistirán todavía en el Arte, en el que seguimos creyendo que se debería saber escuchar, mirar, describir, dirigirse al objeto, descomponerlo y triturarlo para extraer de él una verdad."
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